Nerval, « ou l’impossibilité de vivre hors du théâtre[1] »
Le monde du spectacle, très présent dans l’œuvre de Nerval, est un objet de fascination : la vie et le théâtre semblent s’y répondre, voire s’y confondre. Certains récits, comme Octavie, sont centrés sur le théâtre et le personnage de l’actrice. Mais même lorsqu’ils semblent plus éloignés du sujet, dans nombre des récits de Nerval, aller au théâtre est une activité aussi naturelle que la vie elle-même, nécessaire à la vie. Les narrateurs des Filles du feu vivent une confusion permanente entre le spectacle et la réalité.
L’activité de critique de Nerval est moindre que celle de Gautier, mais reste importante. De 1835 à 1840, puis de 1844 à 1851, il écrit environ 90 articles, principalement dans trois journaux : La Presse, La Charte de 1830 et Le Messager.
Peu concernent le ballet à proprement parler. Plus en encore que Gautier, la danse l’intéresse en tant que spectacle théâtral, dont elle n’est pas toujours clairement différenciée, et non comme art à part entière. Néanmoins, il écrit un compte-rendu de La Sylphide[2], en 1840 dans La Presse, et un autre de Giselle[3] en 1845, ainsi que des articles sur d’autres ballets célèbres de l’époque : Nathalie[4] , La Péri[5] (de son ami Gautier ) et Le Diable à quatre[6]. Ces articles sont relativement décevants : par exemple, il ne fait jamais aucun rapprochement avec son œuvre, dont la conception, nous tenterons de le montrer, n’est pas éloignée de celle de La Sylphide ou de Giselle.
Un autre goût cependant le lie à la danse, et le rapproche de son compatriote allemand Heine, inspirateur de Giselle (Anne Ubersfeld considère que c’est probablement Nerval qui à donné l’idée à Gautier de s’inspirer de Heine[7]) : celui des traditions populaires, qui font intervenir le chant et la danse, sous forme de bals villageois et de rondes, auxquels sont associés des légendes merveilleuses. Ce goût s’inscrit dans le contexte de redécouverte du folklore qui est celui de Sylvie. Ce récit, un des plus célèbres de Gautier, paru dans Les Filles du feu, se situe dans le même cadre champêtre que Giselle et met en jeu les mêmes tensions que le ballet romantique, comme je tenterai de la montrer. Par un hasard révélateur de cette communauté d’esprit de l’époque, un des ballets romantiques chorégraphiés en 1842 à Londres par Jules Perrot (qui a aussi contribué à Giselle ) a pour titre : Alma ou la fille de feu.
[1] Expression de Barbara Sosien, « Trois filles du feu, ou l’impossibilité de vivre hors du théâtre », in Nerval. Une poétique du rêve, Actes du Colloque de Bâle, Mulhouse et Fribourg des 10, 11 et 12 novembre 1986, Paris, Champion, 1989, p 165
[2] Nerval, Œuvres complètes I, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, p 601
[3] Nerval, Ibid., p 964
[4] Nerval, Ibid., p585
[5] Nerval, Ibid., p 763
[6] Nerval, Ibid., p974
[7] Ubersfeld, Anne, Théophile Gautier, Stock, 1992, p 147
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