Mallarmé, critique d’art et spectateur de son temps
« Rien n’est à négliger de l’existence d’une époque : tout y appartient à tous[1] » : cette affirmation de Mallarmé fait bien apparaître une de ses grandes tendances, que l’on néglige peut-être au profit d’un « hermétisme » vite proclamé.
Mallarmé écrit à l’époque des grandes expositions universelles, de l’industrialisation du système éditorial, du perfectionnement des systèmes de la communication ...et cette « accélération de l’histoire », selon l’expression de Pascal Durand, est perceptible dans son oeuvre: intérêt pour la typographie et les média en général, prises de position artistique, notamment en faveur des peintres impressionnistes, en 1874[2].
Sans être un « homme de théâtre », il montre de l’intérêt pour les arts de la scène : tout indique il cherche une vérité dans ce qui lui est donné à voir, dans la représentation d’une œuvre, saisie dans son processus d’accomplissement. De même, son intérêt pour Wagner tient en partie sans doute à la dimension spirituelle de son œuvre et à la place accordée au cérémonial.
Deux textes de Mallarmé, contenus dans les « Crayonnés au théâtre » sont spécifiquement consacrés à la danse. Le premier article, sous le titre générique de « Ballets », fait référence à deux spectacles donnés en octobre 1886 : Viviane (livret d’Edmond Gondinet, musique de Raoul Pugno et Clément Lippacher, première à l’Eden Théâtre le 28 octobre) et Les Deux pigeons d’Henry Régnier et Louis Mérante (musique d’André Messager, première à l’Opéra de Paris le 18 octobre). Le second, qui concerne un tout autre registre chorégraphique, est consacré à la danseuse Loïe Fuller. Il est intitulé : Autre étude de danse : Les Fonds dans le ballet et sous-titré « d’après une indignation récente ». La première partie du texte est en fait une reprise en abrégé d’un article paru le 13 mai 1893 dans The National Observer : Considérations sur l’art du ballet et de Loïe Füller , la seconde y a été ajoutée par Mallarmé pour les Divagations , et est un hommage à un article de Rodenbach paru dans Le Figaro du 5 mai 1886 .
Il ne faut donc pas chercher d’unité temporelle ou thématique à ces articles. Huit ans séparent l’évocation des Deux Pigeons et celle de Loie Füller, laps de temps au cours duquel la danse a considérablement évolué. On peut même affirmer que d’un point de vue chorégraphique, tout les oppose. A la différence de Gautier, les oeuvres en elles-mêmes intéressent peu Mallarmé. C’est la danse en tant qu’art qu’il cherche à atteindre, à travers, notamment, le personnage de la danseuse, bien au delà de son identité civile, de ses divers charmes ou même simplement de ses qualités de ballerine. Le ballet et son titre ne sont qu’un prétexte pour atteindre la Danse dans son essence, sujet d’interrogation pour Mallarmé, qu’il met sans cesse en rapport avec sa propre pratique artistique et son esthétique poétique.
Mallarmé ne traite pas spécifiquement du ballet blanc : les « Ballets » ne sont spécifiquement consacrés ni à La Sylphide, ni à Giselle, ni au Lac. Mais pour Mallarmé, la danseuse est une figure poétique, bien plus qu’un sujet d’écriture. Et on peut arguer que Loïe Füller intéresse Mallarmé pour les mêmes raisons qui rendent l’ « étoile » du ballet blanc fascinante. Loïe Fuller, si elle n’est pas une ballerine romantique, mais bien une pionnière de la danse moderne, est une danseuse « blanche ». Son pouvoir de fascination tient en effet en grande partie à ses voiles blancs, qu’elle agite en jouant de l’ombre et la lumière, créant une véritable vision mi-fantomatique, mi onirique. Ces visions qu’elle suscite vont, vers 1900, frapper les écrivains et poètes symbolistes, au point que l’on peut parler du « füllerisme » comme d’un véritable mouvement littéraire, qui se situe dans la mouvance de Mallarmé. Or, le montre bien, ce qui fascine ces littérateurs, c’est un retour à la grâce, à la pureté dans un art de la danse alors décadent depuis l’ère romantique, une certaine abstraction, déjà présente dans le ballet blanc , mais qui a été perdue de vue en cette période de décadence.
Loïe Fuller est donc pour le poète une révélation, mais qui s’inscrit dans la continuité de ce qu’il a déjà vu auparavant. Comme l’écrit Guy Ducrey :
« Il avait songé, quant aux danseuses, à l’épuisement de leur condition charnelle en scène, à la transfiguration métaphorique de leur corps absenté, à son élévation en signe, à la puissance métaphorique du mouvement,(…) Dès le texte de 1886 consacré au ballet, la poétique mallarméenne de la négation, qui tend à refuser au corps dansant sa personnalité propre,repérable, se trouve comme relancé par l’art de la Loïe[3] »
Plus généralement, Mallarmé s’est intéressé, dans Hérodiade, au mythe de la danse de Salomé. Il est l’auteur de « L’Après midi d’un faune », aujourd’hui un célèbre ballet duquel nombre de chorégraphes se sont emparés, parmi lesquels Nijinski, Robbins, Béjart.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire